Ça commence en mauvaise blague, ce souvenir, un tour qu’on joue à Jielle, il a six ans et nous sans doute l’âge de raison, celui de raisonner sur les mauvais coups qu’on peut lui faire, on lui explique qu’il y a un mystère à percer du côté du garage, le nouveau garage que notre père a construit en prolongement de la maison sur son flanc est, un volume complexe sur deux étages, entrée cour par une porte à bascule dans le garage-atelier, un escalier monte à l’étage, notre père y a installé la table de ping-pong, on joue sur fond de glou-glou dans la salle de bain qui de l’autre côté du mur donne par une autre porte directement dans le petit salon, pas facile d’en sortir quand il y a des visiteurs, le deux en un, deux fonctions qui manquent à la vieille maison, salle de bain et garage, premier projet d’architecture de notre père.
Mais ce n’est pas là qu’on entraîne Jielle, on l’emmène à l’autre bout de cette salle de jeu du premier étage, dans un recoin très sombre, qui se retourne dans l’angle faisant un coude vers le rien, j’ai tenté de le dessiner, ne me souviens plus bien, sur le sol une bâche, qui rend difficile l’abord de cette petite pièce, on s’approche d’un des bords en mezzanine surplombant un puits noir, on sent dans la main un garde-corps en tube de métal, et en bas soudain un animal pousse un cri rauque, et Jielle de s’enfuir en hurlant, et nous de redescendre pour remonter le film, comment ça s’est passé en bas, comment ça s’est passé en haut, et de rire de cette énième frayeur faite à Jielle.
Mais quand y repense, ce qui reste en mémoire, c’est le balcon en à-pic sur le vide, de cette pièce à rien faire, sur quel gouffre de mon père débouchait-elle, et comment nous instaurions un lien vivant de rire et d’émotion, la peur de Jielle, pour libérer le labyrinthe.
sculpture de pierre
roland mousquès
vialas (figerolles, cévennes)
crédit photo christine simon