C’est un soir de juillet. La vallée du Doubs est belle en été, annonce la radio.
Le jardin est en fête. Carte sépia d’un autre temps, la longue allée de ciment bordée d’une collerette de béton gris dresse dans sa longueur des poutrelles équarries ornées d’un treillage, sur lesquelles viennent s’accrocher les épines d’un rosier grimpant à l’ancienne, qui tresse de ses branches une pergola couvrant le chemin embaumant, des roses Sonia, un New Dawn, personne n’a su le dire, de ce rose vivant couleur tendre, présageant déjà sa couleur éteinte. De chaque côté, la nécessité fait loi, les légumes, haricots verts, pommes de terre, petits pois, incursion du côté des tomates, et pour les lèvres, des plans de fraise, alternés avec les arbustes à groseilles, les fines rouges, et puis celles à maquereaux, myrtilles, airelles, toute une terre de cueillette offrant les plaisirs d’un soir gourmand. Dans ses bords, le jardin devient verger, et c’est profusion, cerisiers déjà perdus pour le bonheur des fruits, mais cognassiers prêts pour cuisson, chair de coings écrasée au chiffon. Et les pommiers, pruniers et mirabelliers en fleurs, au fond, un noyer, et puis la haie de noisetiers, branches dont on fait les premières cigarettes, pas encore à maturité, tous espoir d’un automne. Qui n’a connu cette ardeur des arbres à offrir ne sait le paradis terrestre et l’humble contentement de l’homme reconnaissant. Dans ce mois de juillet, elle devine le plaisir que cette famille a dû connaître tout au long d’un jour à finir.
Ils sont cinq, François et Marie, l’aînée, le puîné, la cadette, ils sont rentrés, l’heure du repas. Une soirée de juillet, un coucher de soleil sans doute et puis l’obscurité.
C’est un 16 juillet 1943. Les peupliers de Jean-Pierre sont trop hauts, menace la radio.
Alors son père conte un récit des mille et une nuits, toujours l’histoire d’un verger, la limite de parole, rien avant, rien après, le grondement, l’hypothèse, les avions, puis les bombes, la fuite en famille au-dehors loin des murs, tous allongés. François murmure, se boucher les oreilles et ouvrir la bouche, pour les tympans ; admiratif, le fils obéit, les yeux dans la terre. Reste-t-il encore quelque humus du matin, traces de mousse de velours pour caresser la peau plutôt que la griffer ? Comment luit l’herbe éclairée des feux de Bengale, ceux dressés au ciel, fusées éclairantes en cercle pour faire cible, quels effluves pour l’herbe inondée de salpêtre, de poudre, remplissent-ils le nez qu’on n’a pas pincé ? Comment le visage, le cœur, le corps dans l’attente bruyante, d’abord incertaine, puis si proche, la dernière explosion, avant le redressement quand le silence revient ?
C’était un 16 juillet de l’année 43. La radio se tait
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publiée en mai 2013