Sur la photo à la fontaine, on ne voit pas de moto, mais un indice de moto, la casquette, à la mode de l’époque, plate à visière débordant largement la tête des deux côtés, on écrit le mot, moto, et les sèmes charrient tout à coup une énorme boule de feu, en mode alerte, attention transmission, le gai savoir, c’est normalement là qu’il rit, et qu’on rit jaune.
Qu’est-ce que c’est déjà que cette histoire ? Il faut la reprendre dans l’ordre jusqu’à la leçon finale, le grand-père inconnu démontre par l’exemple, puis, comme La Fontaine, enseigne sa morale, tire les conclusions, un lapidaire et néanmoins redondant, Tu t’en souviendras, pour plus tard.
Est-ce dans la cour qu’il l’a racontée, l’anecdote de la moto, en bas de l’escalier, on était assise sur les marches, ça devait être dans les beaux jours, il était en tricot de corps blanc, sale de sueur, des travaux au jardin sans doute, il sentait fort la terre, une odeur suave qui allait bien avec ses blagues, même sa sueur était plaisante, — on croit alors que quand ça sent fort, ça sent pas bon, mais pour lui, on faisait une exception —.
Mais comment commence-t-elle, cette histoire ? Le petit, quel âge peut-il avoir à cette époque, l’âge des bêtises, avant sept ans, peut-être, le fils met quelque chose dans le réservoir de la moto du père. Supputations : sable ? Sucre ? Terre ? En tous cas, quelque chose de gras, de vraiment enquiquinant, qui se mêlant à l’essence gagne le…, enfin, passe mal dans le filtre, pollue le carburateur, ça, il avait gravement compromis les chances de survie du moteur, qui ressort du récit.
Les frères étaient là, nous, assis sur les marches d’escalier, tendus vers la suite, le visage tourné vers, et alors, et alors…
Zorro est arrivé, Henri Salvador. Année mille-neuf-cent-soixante-quatre. Fascinée par cette superposition des plans sonores, les couches de sons de la proximité à l’écho, du parler au chanté, la voix de basse, le contraste avec la voix chaude, et puis les plans de narration aussi, programme sur la deuxième chaîne, et plongée dans le récit, dramaturgie et grande casse finale, et, et, le gag, avec ses bottes et son vieux banjo, première fois qu’une chanson emporte si loin. La musique n’est pas le son, le style, c’est le son. Et bien sûr les images, mais pas ce qu’on préférait. De toute façon, pas de télévision à la maison.
Le grand-père découvrant la bêtise de son fils à temps, quelque chose entre il le prend sur le fait ou quelqu’un le lui dit avant qu’il n’ait roulé avec la moto, se met à tout démonter, nettoie son réservoir, le carbu, le filtre, pose chaque pièce sur l’herbe pour les faire sécher. Ça dure longtemps le démontage, le nettoyage, on en profite.
Puis ayant tout remonté, il fait venir le petit, l’encourage à poser ses doigts sur le delco, puis avec un grand rire lance le moteur d’un grand coup de pédale avec poignée d’accélération. Coup de jus, décharge.
Mais cette fois, le père ne rit pas, prend un air faraud, le père, comme coincé par ce qu’il comprend tout à coup être une parabole christique, Raconte ceci en mémoire de moi, et que même si le contenu. Est-ce pour cela qu’il n’ajoute rien.
