La femme pénètre le salon aux divans hauts installés contre les murs ornés de mosaïque, on est à Oued Zem, Maroc, dans le cœur de la maison, dans la pièce d’à côté, les enfants regardent un telenovela mexicain sur la TV à écran plat, mais dans le salon du cérémonial les femmes assises sur les coussins attendent chacune leur tour en parlant à voix basse, c’est du mariage d’une cousine qu’on parle et la smala agrandie est invitée, pour l’occasion, -et bien que votre statut ne soit pas clair, vous êtes venue avec l’aîné et ce sont les derniers jours du voyage-, vous faites partie de la famille, pièce occidentale rapportée à cette fratrie nombreuse et souriante, baignée dans une langue que vous ne comprenez pas. Le soir vous crierez les youyou comme elles, et tenterez de danser ce mouvement des épaules, ce châle sur les hanches, un mariage.
Du pot émaillé bleu que celle que vous nommez « tatoueuse de mariage » est allée chercher à la cuisine émane une odeur pointue de henné et de fleur d’oranger réchauffés qui chatouille vos narines, alors quand la femme qui a retiré sa gandoura et lacé sa taille d’un tablier de cuir sombre vous fait signe de la tête, vous prêtez vos mains, vos bras, vos chevilles pour le cérémonial, la femme s’approche de vous, s’assied sur un tabouret de bois qu’elle a disposé à vos pieds et de son stylet à pointe arrondie, une seringue trempée dans la pâte onctueuse, dessine sur votre peau des arabesques, des fleurs, des feuilles, un lacis verdâtre, d’abord sur le dos et la paume de vos mains, jusqu’au bout de vos doigts, puis remontant sur les avant-bras, sachant arrêter son dessin quand il entoure votre poignet et plus haut encore d’une manchette florale, ornement naturel laissant sur l’épiderme ses sillons marron clair, puis d’un coup de menton, elle vous engage à poser vos jambes sur un pouf à côté d’elle et elle poursuit son travail agrémentant vos malléoles d’un filet fleuri exubérant qui remonte aux mollets, le contact chaud est agréable, vous humez les parfums, percevez les murmures, reconnaissez quelques mots que vous venez d’apprendre, ana, chouf, vous sentez à leurs regards qu’elles parlent de vous, mais vous fermez les yeux, vous vous abandonnez à ce soin, à ces marques qui s’approprient votre corps, à cette tradition qui ne vous est rien mais qui vous acculture, un tatouage éphémère, qui restera sur votre peau à votre retour en France, que vous contemplerez peu à peu s’effacer, laissant des traces incomplètes puis abstraites, les signes kabbalistiques d’un reflux, d’un été qui aura duré ce que durent les amours de henné.
le tatouage éphémère
crédit photo wikipedia

Messages
1. le tatouage éphémère, 28 août 2015, 09:10, par Dominique Hasselmann
Le tatouage comme une décalcomanie (heureux ceux ou celles qui peuvent s’en débarrasser à la suite de lassitude de la figure imposée), senteurs orientales - j’ai pensé ici à des images de Delacroix.
Voir en ligne : Métronomiques
2. le tatouage éphémère, 28 août 2015, 09:55, par Christine Simon
Ce tatouage ne m’a pas fait penser aux décalcomanies, dure plusieurs semaines, un art appliqué. Intérieur des Femmes de Oued Zem, à part la TV Ecran plat.