La force d’un tel acte, Anchorage, résidera dans sa capacité à prendre en compte la complexité des différents niveaux, l’implication, le travail, la liberté intrinsèquement liée aux outils nécessaires, la maîtrise étant constitutive de l’acte performatif, dans ce travail fondé sur une forme d’improvisation, maîtriser suffisamment les instruments et les gammes de son art, et par gammes, entendre celles qui concernent le détail et l’ensemble, l’alternance rythmique de la musique du texte, les enchaînements, dans la perspective et dans le mouvement de sa visée finale.
Une question me vient, par exemple, où sont les leitmotiv ou les sensations de reconnaissance d’un passage qu’on a déjà lu, l’impression de retomber sur ses pieds, quand tout glisse, il faut parfois ces familiarités du paysage, sortes de plate-forme de « déjà vu ». L’habitacle, le bus, en font partie. A penser comme tels. Comme il faut être plus certain des instants de solo, encore que là, ce soit plus évident.
Que veut dire ce mot « improviser » en littérature, il s’impose à moi, une langue d’énergie, un forçage du paragraphe, tant que ça passe, tout est bon à la langue si elle rend son jus, sa matière, on peut la charger, la transformer depuis le lieu de récupération que constitue le texte, elle se sert, re—use, ré—emploi, mélange qui doit charrier la syntaxe, les mots, le sens, diachronique, synchronique, les suspendre, les laisser retomber, les fouiller dans la boue, y revenir, et toujours la vitesse en inquiétude d’âme, qui arrache à la mélancolie. C’est dans le temps de production du texte que j’improvise, y revenant, série avec de minuscules modifications, pour que ça sonne mieux, polir les notes, comme ça que sans doute les standards de jazz naissent, par des retours permanents à la forge, cette impression de reparcourir pour la première fois, parce qu’il y a variation, redécouvrir le texte à chaque passage.
Où il est bien question de composition mais aussi d’oreille, l’épaisseur de la phrase, ses strates, sa richesse, son registre linguistique, la technique narrative au service d’un récit qui doit avancer, dans une continuité, toujours renouvelée, comme l’eau qui coule, changeant peu à peu mais pas trop brutalement, sauf à certains endroits bien choisis, la pénétration des forêts ténébreuses, la lascivité sous la lumière du ciel, tenir tout ça en même temps que traverser ce qu’il y a à écrire, qui me fait violence en ce moment dans cette partie du récit, comme ce qui arrive, l’impression de descendre l’Amazonie, avec ses courants, ses eaux étales, ses dénivelés vertigineux, ses odeurs fortes, ça qu’il faut traduire.
L’acte de la version 4 est une esquisse intégrale de la rivière, cadre, déjà chargé de ses bifurcations, de ses zones saillantes, mais pas encore sur toute la longueur, et qui ne possède pas la couche suivante, les jeux de couleur, les effets de lumière, l’épaisseur, ombre et chatoiement, enfin pas partout, et bien sûr pas encore le tombé sonore final, staccati, legati, sans cesse retravaillés.
Anchorage, encore rage, encourage.

Messages
1. improviser Anchorage, 7 octobre 2015, 10:38, par Dominique Hasselmann
Littérature, chantier, gravats et puis construction fragile (Bouygues n’est pas un écrivain).
Voir en ligne : Métronomiques