Il me manque une scène avant de raccrocher les wagons déjà connus, elle se passe à Primrose, un printemps, des primevères, dernière étape avant le port, me manque la forme, ces impressions extérieures qui transposent le quelque chose d’intérieur, l’adolescence, sur ce territoire qu’on réchappe, rattraper le flou, ces instants où on espère la sortie, mais où on est encore tellement dedans, on n’a pas les outils, le homard pendant la mue, disait Dolto, mais le homard ne m’est pas familier à cette époque, ne comprends qu’intellectuellement cette métaphore, -chez toi, c’est l’escargot qu’on laisse jeûner, qu’on fait dégorger, tout en tentant par force de l’enfoncer dans la farce des rituels religieux-, l’adolescence, une jachère de soi, l’état d’apesanteur et la levée des pulsions, les frôlements, ce que saisis davantage, c’est comment la musique enveloppe mes doutes, transitoire espace de respiration, supplée l’incapacité à se définir, comment elle porte la résistance aussi en attendant l’âge adulte, mes endorphines, dans ces blues infinis, dans la voix qu’on pousse dans ses extrêmités, comment elle permet d’excréter le trop-plein, quand les amis autour, c’est, comment la mise en danger, chacun la sienne, celle qu’on risque, celle qui nous risque ; comment elle mute encore, la musique, du chant au band, du band au groupe, comment les copains et la composition des chansons ont accompagné cette mutation, une sorte de scrapbooking de sons et de mots composé à plusieurs, de portraits aussi, les photos des nous successifs, dans les différents lieux, les premiers émois, le souvenir des répétitions, des conversations, et puis, très vite, les petits boulots, l’impératif économique, condition de la liberté, qui rendent si présent le chassé-croisé émotionnel de l’époque, comment transcrire tout ça depuis l’habitacle, quelles images.
Pour le bus, la suite.
