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mon abécédaire

24 février 2018
t comme triste

mon abécédaire

B comme béréchit


la deuxième lettre de l’alphabet en hébreu et on est à soi-même son propre hébreu on entre dans l’antre mettre dans la poche noire ce qui ne saurait se réduire à une imitation tant d’autres grands ont écrit leur abécédaire, alors on veut en faire mystère tant qu’on n’est pas au bout de ses mots ici on skippe le A là que tout commence l’avant est le point d’origine perdu dans le tableau comme l’est le point de fuite mais pas dans le futur de la peinture il n’annoncerait rien de toutes manières on n’a pas fui on a juste avancé et lui est devenu la trace lointaine d’un arbre de bordure de nationale dans le rétroviseur on se retrouve debout on naît au salut des copains à la montée dans le train dans les bras de celui qui vous fauche peut-être ce qui nous fait advenir ou ça quand on est un quidam liberté des dessous de draps dans la grande ville berechit se croire allogène comme si jamais prise dans la matrice on se trompe on ne fait que succéder mais peut enfin démarrer la suite ainsi quand on fait le tri dans l’abécédaire on trie les mots dans le tamis qu’on voudrait de hasard comme si c’était possible


B comme bambou


de l’art de le choisir quand il devient trapu, de le déshabiller pour n’en voir que le tronc, de le nouer ensuite, le nœud caché dedans, sous la triple épissure, que le bambou serait un art, une métaphore, un monde entier en soi, ses accommodations, qu’il emmène rêver, qu’il donne à s’échauffer, jusqu’aux pousses qu’on déguste, et derrière la matière la trace d’une Asie


B comme barrière


back to b un jour la barrière prend l’allure orange de l’antirouille on y grimpe on se penche pour voir plus loin brouhaha le pays des ouvriers retentit du même quelque chose vu au journal télévisé un homme sur les toits d’une université et ici les hommes à casquettes militant au carrefour juste au pied du Crépont on n’a pas l’âge de quitter l’allée juste de regarder ils s’approchent et murmurent dis petite donne-nous du tissu de coton blanc dis petite donne-nous les bouteilles vides qui traînent dans ta cave et on s’exécute il s’agirait d’une opération naïve l’apprentissage vient par les pieds dit Sebastian Haffner on apprendra plus tard mais ici on découvre les préparatifs d’un feu de barricade on obtempère puis on se retient quand ils demandent de l’essence on devine Molotov irruption du réel jadis feux de Bengale bombardiers les corps la terre ravagée alors ça cogne on fait non de la tête mais le soir on frémit de savoir que l’un d’entre eux est mort quelque part dans la ville cette seconde à treize ans quand on se reconnaît politique mais du lointain continent de la non-violence une Inde inspirante on déclare ce jour-là ne vouloir jamais de ces guerres des hommes


C comme coïncidence


parmi les événements qu’il nous arrive combien résonnent comme coïncidences très peu mais ce sont ceux-là sur lesquels on s’empresse de projeter notre appétit de sens après qu’on a enterré dieu que la coïncidence serait la surface qui dit notre angoisse et notre envie de réparation que la simple existence du mot ouvre au monde de la nécessité de croire et qu’à cet endroit ne peut répondre qu’une respiration profonde une sourde allégresse tendant vers le réel une renonciation à prendre l’aléa pour le vrai le méandre pour le fleuve transitoire lacet qui ne dévie pas la flèche générale on y perd un peu de notre temps mais on peut toujours la laisser sur le bord du courant bornant le trajet de nos mûrissements


D comme doutes


la tartine n’est pas beurrée au petit déjeuner de l’enfance on écope l’eau de rien on est hésitant dans le paysage d’usine la sculpture qu’on a en soi est ébranlée on n’a que la main raide dans le gant de veau mais on s’appuie sur l’humour d’un regard qui insiste même à découvert à pied sec sur la grève le doute mais jamais complètement qu’un Proust nous retourne le cheval en chemin de Damas on peine rien n’est acquis on va piètre mendiant pauvreté de nos syllabes chaque jour la liste de nos mots les tentatives sempiternels aveux d’incertitude jusqu’à la muraille où se cachent nos clés et nos poires pour la soif on finit toujours par y trouver la source et on repart


D comme danse


donne ta main, approche-toi, les corps se rapprochent, on dit danse de salon, on devrait dire Je t’aime, du regard on se touche et sur le son on bouge, le corps-à-corps transforme le face à face en dyade, cet instant où s’oublie qu’on est un, qu’il est autre, fusion des chaleurs, cette légère transpiration des sens dans l’espace où ne vit que l’impact des peaux, danser nus près du lit, ce sont prolégomènes à la métaphysique à venir, nous devient l’écriture, son ombre sur le mur


E comme échappée


On avait compté les régressions, jour après jour, on percevait l’écart, la toujours plus grande difficulté à ce qu’un dire fasse corps pour tous, chacun criait dans sa cité, on l’avait senti. Mais tout à coup, notre multitude est prise au lasso de quelques-uns ; on sentait que d’eux viendrait le pire, peut-être « mal » est le mot pour dire. Alors, notre échappée, jardin, maison, librairie, prend désormais le sens qu’on n’aurait su plus tôt deviner, ou qu’on a au contraire trop bien pressenti, la nécessité non de fuir mais de rejoindre les vignes, les forêts, d’œuvrer dans le huis-clos des travaux et des jours, en respirant la terre, en écoutant le carillon sonner le lieu serein.


F comme


G comme


H comme hirondelle


On les compte sur le fil, les hirondelles, elles s’alignent prêtes pour l’envol, on les aime pour leur liberté, elles s’échappent, et dans le poème elles résistent à Ponge ou s’effleurent en comptine d’une Louise. Quand d’un repli de l’aile elles basculent ne laissant au regard que ce profilé du vol qui fuit à l’horizon, elles deviennent écriture, juste un délié mais leur encre jamais ne s’assèche. Plongeant d’un toit imaginaire, on leur voit des traces dans la neige, faudrait leur mettre des moufles aux hirondelles, un cache-nez, un manteau, les emmitoufler pour les protéger de l’hiver, parce que la vie dure, la vie est dure quand on a part dans le grand monde, mais sans cette grâce d’éphémère que quelque plume abandonne, qu’aurait la phrase pour durer, qu’aurait le poème pour exister, qu’aurait ce texte pour advenir.


I comme iris


tête de poupée altière, sage comme une image, à l’orée du poème, mon bel iris sauvage, cueillez-moi des jeunes filles et des iris bleus à l’ombre des charmilles, la seule complication, c’est sa forme, les pelures de couleur les unes sur les autres, les petites peaux grises fanées qui collent aux pétales, des peaux comme des voiles délicats, comme cela, tout doux, on en verra la trace dans le bleu de la mer, au bord de ces falaises en haut de Cadaquès, in memoriam, on ne peut que planter des iris, seulement des iris, beaucoup, plein, énormément d’iris, et attendre de nouveaux printemps


J comme jazz


parti sans laisser d’adresse ou plutôt que l’adresse se perde dans le solo qui nous envole ça la peur qu’on resterait peut-être quelque part là-haut en voix de tête parce que la musique était si conventionnelle harmoniques au carré à domicile alors qu’on ait voulu la dissonance début d’une liberté ça le jazz qu’on peut chanter autrement et que la folie ou le désespoir peuvent s’y glisser en toute impunité qu’on oublierait le quotidien l’attente au bout du chemin et la nécessité de l’obscène réalité ça qui fascine aussi plus tard chez les artistes faire ce qu’on veut pour soi on admire cette fidélité à l’essentiel dans l’obstination et la constance ne pas se laisser détourner on va insister insister en se disant qu’au bout du saut l’eau n’anéantit pas l’autre rive et les paniqueurs de tous poils ne sont que nos propres fausses vigies qui fourvoient il y a une terre là-bas juste la penser faire ses gammes et même s’il n’est pas parfait le solo

K comme


L comme lumière


nur Licht, seulement la lumière, seule l’huile pure de la lampe permet d’éclairer, chacun regarde sur ses ongles les reflets de la flamme et croit qu’il la détient, mehr Licht, a dit le poète, davantage de lumière, et soi avide de s’en nourrir ; délicate à l’aurore, elle n’est plus qu’écrasement au soleil de midi, l’envie d’en réchapper, après tant la vouloir, on finit par la craindre ; cerne la vérité, puis l’échauffe, la dilue, jusqu’à ne plus montrer, alors on la fréquente comme un vieux rendez-vous et son remerciement


M comme machine


toujours on a vu l’établi et son étau forgé à l’ancienne qu’accompagne l’odeur de sueur d’huile de peinture ne se raconte pas l’histoire d’un ouvrier mais d’un concepteur quelqu’un qui attrape la mécanique du dessus qui forge ses outils qui pense avant les mains au plus intime de qui m’a appris à aimer même dans ses gestes brouillons ça sentait bon l’échauffé du métal on y puisera ses objets d’amour il y faut ce schéma subtil la double entrée le verbe l’action et son déclic métallique comme ça qu’on s’est toujours fait emboutir comme ça qu’on aime cela va de la réparation de moto la jeep chemises kakis d’un été le changement du moteur de 4L passage aux hauts-fourneaux laminoirs aciers plats un marin aussi en bleu de chauffe puis imperceptiblement on quitte la mécanique pour la technique désincarnée on travaille des années à faire la robot Shiva parant au plus pressé ou comment se faire mécaniser on finit par comprendre l’urgence de suspendre en pas de côté se désincarcérer que la technique n’est pas pure mais prise dans des rapports de lutte de classes qu’elle nous pétrifie telle la Méduse à trop la contempler alors on la quitte on se rabat sur la machine on l’aborde en liberté dans un rapport sémantique on se fait machine en mots pour être respirée


N comme nature


la nature, ça n’existe pas, l’environnement non plus, ça ne nous entoure pas, on est dedans, alors quoi, quel mot pour dire la symbiose ou l’étrangeté, deux sentiments qui nous occupent quand on vit là où les premières fleurs du pêcher de vigne, le parfum des daphnés qui s’entête, le tracé en huit des abeilles, le récit matinal du merle, la crainte d’une tempête, le dard d’un arc-en-ciel qui vient frôler la terre, on ne se vivra plus passager clandestin, on devient jardinier, soi, faune et flore, dans le même paysage


O comme


P comme


Q comme


R comme


S comme swing


l’entre-deux entre joie d’une Libération et mur d’arrière-pays l’époque contient sa mélancolie mais le rythme aussi la force du swing un peu d’Amérique et on s’aperçoit qu’on en est le produit on y puise une détestation de la F rance on n’aime pas les petites médisances les nantis supérieurs non plus sa crise naissante on veut prendre la route un technicien du terroir se présente peut-être qu’avec un autre mais rien à retenir de cette 2CV sur les bords du canal en rentrant chargée des draps rouges passant près de la petite maison on apprend la mort du président comme ça qu’on sait dater jour et heure la formalité ça ne marque pas peut-être choisi pour ça justement pour qu’il ne barre pas la suite de soi on aurait pu rester là on prend la grande tangente on a le swing en soi


S comme solitude


comment en nait le sentiment, est-ce la littérature dans le huis-clos de la lecture qui en aurait accru la prégnance, ou le sait-on de longtemps que l’appel du regard, les mains tendues en vain nomment la butée d’un monde indifférent, barrière qui jamais ne cède, et puis zip, c’est l’ouverture-éclair, moments de plénitude, coups de fil chaleureux, un amant, un enfant, et on sait que la solitude n’est qu’état transitoire, étape d’un récit qui nous accompagne, l’histoire de nos rencontres, la forme de nos échanges, ce qu’on s’en dit, le quant-à-soi du quant à nous


S comme seuil


on touche parfois ces seuils de soi où la porte apparaît, quelque chose de visible, de découpé dans l‘espace, là où, le plus souvent, on frôle en vain la face lisse des parois intérieures en quête d’ouvertures, ce sentiment qu’enfin on peut pénétrer le for inférieur, les ramifications du labyrinthe, que clignote une autorisation, et même qu’elle peut prendre sa forme littéraire.
quant au courage, comment se faire une carapace, dans le lieu de sa nudité


T comme triste


surtout dans « passion triste », humidité qui englue la vie en soi, elle commence comme un ravage sec, irritant, suspendant la respiration, puis s’installe en marécage envahissant, dont acte, puis on part faire un tour, on cherche à la fuir sans pour autant effacer le savoir qui l’a provoquée, mais on la fuit pour l’empêchement qu’elle charrie en soi, on la reconnaît chez les autres et chez certains on admire leur art à l’effacer comme on ratisse le sable du jardin zen, pour soi la promenade et la rencontre viennent redonner la clef de sol au for intérieur, le marécage disparaît sous terre

soi ne la porte plus, mais pas comme avant


U comme


V comme vitesse


bien sûr on aime l’écho du mot en soi laisse sa traînée de poudre pourtant on arrive en prenant son temps quinze heures c’est après que les choses se précipitent on ne maîtrise plus rien alors on se met à courir personne pour vraiment arrêter la peur on se découvre l’impatience au moment de ronger le frein de l’enfance on a toujours un an d’avance mais qui ne sert à rien on appuie sur le champignon des initiations en tous genres la vitesse gagne la musique on débarque à vingt ans persuadé que et c’est le mur face à la première chambre louée trop vite on aime dépasser la vitesse autorisée mais on est limité par le moteur et l’état de la route alors on apprend la patience mais ne pas confondre avec obéissance celle-là on va laisser tomber on ne veut plus se censurer

W comme


X comme


Y comme


Z comme


écrit ou proposé par Christine Simon
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne le 24 février 2018 et dernière modification le dimanche 25 février 2018
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