L’herbe ici avait la consistance du gazon, mais naturel, épais, qui chaque matin faisait plonger avec ravissement nos pieds dans la rosée ; la terre si plate, sur laquelle était plantée l’ancienne bergerie landaise, retapée, la maison carrée, sans étage, au toit à quatre pans qui descendaient bas, qu’on pouvait escalader juste en faisant la courte échelle et un des chenapans présents ne s’en était pas privé ; c’était une maison de famille, de vacances, empruntée à un collègue, on l’avait pour un mois.
Tout dans ce pays était plat, et les balades à bicyclettes. Seuls les Pins maritimes troublaient l’horizon et venaient par leur parfum déranger la rêverie, on pensait à Napoléon III, on imaginait les marécages et les grands travaux ; alors on partait s’installer dans le rocking-chair et on lisait.
Peut-être avait-il fallu le livre, celui qui nous avait occupé toute l’année, celui des endormissements joyeux, celui des samedis tranquilles, celui qu’à force on savait par cœur et dans ce recueil d’histoires enfantines, ces vingt-cinq pages, que je lisais et qu’il disait, simultanément, lui qui ne savait pas lire. On l’avait acheté en double, en triple, par crainte ; l’exemplaire offert souffrait.
Il fallait que ce soit un texte court, une nouvelle, au titre intriguant, qu’il y ait du conte à l’intérieur, qu’on soit plongé dans un temps des rois, des bouffons et qu’il y ait des phrases que personne n’avait jamais entendues avant, mais qu’on reconnaissait immédiatement, comme cette question « mais que peut-on devenir ? », adressée au roi par Colombin et qu’on ressentait comme une question personnelle, en tous cas la mienne et la sienne aussi, et peut-être celle de tous ces autres qui l’ont lu durant cet été frais sous la véranda.
Il y avait de la cruauté, de la jalousie, de l’innocence et de la naïveté, « je découvrirai un pays, je découvrirai un pays », il y avait aussi de la ruse et ce Colombin caché dans la forêt faisant croire en rentrant qu’il avait trouvé l’Amérique, mais le titre l’affirmait et on avait raison de le croire, si on s’en tenait à l’histoire de Peter Bichsel, l’Amérique n’existe pas.
les anneaux de buren et bouchain
à Nantes, en face de la maison de jules verne
photo : christine simon