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Les disparus des photos se rencontrent en voix off, on essaie d’entendre la couleur de leur voix, la trace d’accent, on tente de reconstituer la posture. Réaffecter les morts, mais sans la nostalgie.

Confidence du père sur son père, « le 14 juillet 1943, on dînait en famille sous les lampions décorant le jardin, juste à côté de l’allée de roses rouges, et ton grand-père nous a dit en prenant la main de Marie, vous savez, les enfants, votre mère et moi, on ne s’est jamais autant aimé. ». Quelque chose d’insolite en ces temps de guerre, du plaisir à fêter, de la légèreté pour la romance. Et, même si l’histoire ne dit pas si Marie avait acquiescé à la confidence du grand-père, l’écho perdure d’une histoire d’amour, sa délicatesse, dont l’aveu avait éclos dans la douceur d’un soir d’été. Trente ans plus tard, l’allée de roses exhalait toujours ses fragrances écarlates comme empreintes olfactives dans ma mémoire.

Mais le 16 juillet 1943, c’est le souffre qu’on a senti au jardin.

Toute la difficulté réside dans ce paradoxe avec François Simon, qu’oserait-on reprocher à un mort dans le bombardement, qu’il était cruel avec son fils, qu’il avait l’arrogance d’un contremaître aux Usines Peugeot, recruteur en chef que chacun venait courtiser, qu’il s’entretenait en allemand avec les interlocuteurs occupants de Volkswagen, ou à sa décharge qu’il servait de paravent aux petits sabotages des ouvriers résistants qui ralentissaient la production ou qu’il avait un génie mécanique, participant à la création de la première voiture électrique. Quoi mettre en évidence dans ce destin, qu’il faisait installer la DCA pour défendre les ateliers occupés, ou qu’il écoutait en douce Radio-Londres, Les peupliers de Jean-Pierre sont trop hauts, qu’il démontait ses double-vitres pour qu’elles ne se brisent pas sous le souffle des bombes attendues, qu’il avait préparé une retraite à la campagne, voiture pleine prête à partir, ou qu’il n’a pas pris la fuite quand les avions anglais sont arrivés et, quand la cible mouvante dans le ciel s’est déplacée des usines aux quartiers résidentiels, qu’il a essayé de protéger sa famille en la poussant vers un abri. Sa toute-puissance s’arrêtant là.

Comme une rencontre se nourrit de petits faits cumulés, de contradictions aussi, la figure de mon grand-père s’est construite pour moi dans les conversations avec le grand-oncle, les voisins, vieux, les archives, la participation aux célébrations, sur fond de méfiance culpabilisée, héritée de mon père, pour tout ce qui était pouvoir et hiérarchie.

J’ai repris à mon compte ses griefs, son ressentiment, mais la douleur de mon père, la tragédie, le trauma, le manque aussi, m’échappe, elle n’a pas traversé la plaque photographique, elle est comme la trace d’une béance sans la déflagration, une insensibilité.

La suite au prochain jour impair à 13h

Mots-clés

bombardement

écrit ou proposé par Christine Simon
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne le 17 mai 2023 et dernière modification le dimanche 21 mai 2023
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