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papillon dans les herbes hautes

Cette nouvelle est ma contribution au Ray’s Day ici. Ne suis pas sûre que j’ai respecté la contrainte, ceci est plus une écriture qu’une lecture, mais voilà. Voir le site de Neil Jomunsi ici pour en savoir davantage.


La femme n’avait pas de bleu à l’œil, pourtant elle était tombée dans l’escalier, certaines femmes ont une grande propension à tomber dans les escaliers, non qu’elles soient maladroites, mais elles ne s’attendent pas toujours à la poussée subie ni à la gravité qui en résulte, dans le cas de cette femme, c’est le vide qui l’avait attiré comme par sortilège, rien à voir avec la profondeur de la cage d’escalier, ce qui l’avait fait plonger, c’était ce quelque chose d’un vortex au fond, un flux d’air violet et noir, qui tournait sur lui-même, mais jamais dans le sens attendu, ou plutôt tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, fabriquant une aspiration brouillée mais puissante, que seul un maintien à une rambarde robuste permet de défier, il n’y avait pas eu rambarde pour y résister, que le bord d’un abîme sans parapet au-dessus du phénomène karstique, créant ce vertige de soi qu’elle avait éprouvé, bras tendus vers l’inconnu, émotion perceptible par le tremblement des jambes, une soudaine faiblesse, l’envie de survoler, et la minute suivante, ayant perdu toute boussole, elle s’était comme diluée dans l’obscurité du trou noir, son corps s’allongeant en spectre déformé par le courant, s’enroulant en spirales contrariées, qui la réduisait de plus en plus à sa forme la plus plate mais confuse, celle susceptible de glisser dans la bonde effrayante, elle s’en approchait, ça y est, elle avait passé le seuil, et s’était retrouvée dans un vide abyssal, le grand gouffre froid et brûlant à la fois, un enfer de glace et de flammes, sans même un diable pour y habiter, un espace aux lois physiques inconnues, le lieu de l’invisibilité quand on s’y trouve, celui de l’absolue disparition, ce lieu qu’on appelait N.L.C., elle se souvenait l’avoir pensé, tiens, c’est ça le N.L.C., presque curieuse, et cette pensée l’avait réveillée, lui avait fait prendre conscience du fond calcaire sur lequel elle avait rebondi plusieurs fois dans un son mat, elle remontait presque en apesanteur mais toujours retombait violemment, elle avait senti son cœur cogner en elle, emportée et projetée sur les roches de tuf qui jonchaient le fond, elle avait cru son dernier instant arrivé, jusqu’à ce qu’elle heurte un objet de bois, qui avait fait ce bruit différent qui l’avait alertée, tentant de s’y arrimer, se maintenant, s’aplatissant de toutes ses forces sur le sol, cette fois-ci elle n’avait pas rebondi, découvrant une trappe et sa poignée, elle s’était accrochée, et l’avait ouverte avec cette force du désespoir qu’on a dans les moments les pires de nos vies, et dans un acte réflexe elle avait sauté dans le petit bassin qui était apparu, dans une sorte de grotte aux reflets d’or chatoyant sur la muraille, une eau pure affluant vers une rivière souterraine semblant chercher sa résurgence, elle avait fait confiance, suivi le cours de l’eau vers un point lumineux qu’elle distinguait un peu plus loin, et tout à coup était sortie à l’air libre, sous un soleil paresseux d’après-midi, elle avait d’abord été étonnée du silence et de l’immobilité du paysage, puis faisant la planche et dressant l’oreille, elle avait reconnu ici le chant d’un coucou, là le ton gouailleur d’une colonie de canards, puis nageant vers le rivage, elle avait peu à peu isolé bruissements d’ailes, craquements d’arbres, chuintements d’écureuils, fondus à l’insu de leurs auteurs dans un concert dont elle percevait chaque harmonique, ayant rejoint la berge aux mille teintes de vert, elle en goûtait chaque détail allongée dans une prairie en pente douce, fleurs des champs et champignons, papillon dans les herbes hautes.


christine laquet
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