[l’ode triomphale]
de fernando pessôa
hérotonyme : alvaro de campos
traduction par Michel Chandeigne
l’ode triomphale (extrait)
« Mais, ah, revoilà la rage mécanique perpétuelle !
Revoilà l’obsession mouvementée des omnibus.
Revoilà la fureur de s’en aller en même temps dans tous les trains
De tous les coins du monde,
De lancer des adieux du pont de tous les bateaux
Qui en ce moment lèvent l’ancre ou s’éloignent des docks.
Ô fer, ô acier, ô aluminium, ô plaques de tôle ondulée !
Ô quais, ô ports, ô trains, ô grues, ô remorqueurs !
Eh là grands déraillements de trains !
Eh là effondrements de galeries de mines !
Eh là naufrages délicieux des grands transatlantiques !
Eh là oh révolutions par-ci, par-là, par là-bas,
Révisions de constitutions, guerres, traités, invasions,
Brouhahas, injustices, violences, et peut-être sous peu la fin,
La grande invasion des barbares jaunes à travers l’Europe,
Et un autre Soleil sur l’Horizon nouveau !
Qu’il porte tout ça, ah mais qu’importe tout ça
Devant le fulgurant et rutilant brouhaha contemporain,
Devant le brouhaha cruel et délicieux de la civilisation d’aujourd’hui ?
Tout ça efface tout, sauf le Moment,
Le Moment au torse nu et brûlant comme un chauffeur de forge,
Le Moment stridemment bruyant et mécanique,
Le Moment dynamique Moment déferlement de toutes les bacchantes
Du fer, du bronze et de l’ivresse des métaux.
Allez hop ! Les ponts ! Allez hop ! Les trains ! Allez donc ! Les hôtels à l’heure du dîner !
Allez ! Appareils de toutes espèces, en fer brut, minuscules, instruments de précision, appareils à malaxer, à creuser, engins, foreuses, machines rotatives !
Allez hop ! Allez hop ! Allez hp !
Allez donc ! Electricité, nerfs malades de la Matière !
Allez ! Télégraphie sans phil, métallique, sympathie de l’Inconscient !
Allez donc ! Tunnels ! Allez ! Canaux, Panama, Kiel, Suez !
Allez hop ! Tout le passé dans le présent !
Allez tout l’avenir déjà en nous ! Hop là !
Allez hop ! Allez hop ! Allez hop !
Fruits de fer, fruits utiles de l’arbre-usine cosmopolite !
Allez hop ! Allez hop ! Allez hop-op-op-op-op-p-p !
Je ne sais même plus que j’existe tourné vers l’extérieur. Je vire, je contourne, je m’ingénie.
On m’attache à tous les trains.
On me hisse sur tous les quais.
Je tourne dans les hélices de chaque navire.
Allez hop ! Allez hooop-là !
Allez ! Je suis la chaleur mécanique et l’électricité !
Allez hop ! Avec les rails et les salles de machines et l’Europe !
Alelz ! Et hourra pour moi-tout et pour tout, machines au travail, et hop-là !
Sauter avec tout par-dessus tout ! Youp-là !
Youp-là ! Youp-là ! Youp-là ! Yououp-là !
Z-z-z-z-z-z-z-z-z-z-z-z-zz !
Ah ! ne pas être à moi seul tout le monde et tous les lieux à la fois ! »
fin
Messages
1. l’ode triomphale, 5 décembre 2014, 08:11, par Dominique Hasselmann
Très futuriste, dans son genre (dommage que la date ne soit pas indiquée) !
Voir en ligne : http://hadominique75.wordpress.com