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autobiographie des objets

Quelque part dans La recherche du temps perdu de Marcel Proust, dans Du côté de chez Swann, peut-être dans Combray, j’ai cherché et n’ai pas retrouvé la référence (malgré la version numérique sur mon appli Kindle dans l’Ipad), en tout cas dans Proust donc, que j’ai lu en continu pendant plusieurs mois, j’ai relevé cette phrase, où celui-ci écrivait qu’il faudrait faire une autobiographie par les objets qu’on a croisés ; François Bon relève le défi, se colle à sa propre mémoire des objets, un exercice de style entre le Mythologies de Barthes et au choix Les Choses ou quelque mystérieuse liste dont Pérec avait le secret, façon Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle), l’objet et son mode d’emploi, son ancrage aussi dans la chronologie d’une vie.

Ça commencerait par nylon, la corde « moderne » des années soixante. Ou plus précisément par une danse, l’incipit, la danse des objets justement, quelque chose qui parle de nos encombrements contemporains, cette submersion qu’on sait plus ou moins traverser.

Et pourtant, ce qui trouble dans la lecture, les objets ne sont pas là pour eux-mêmes, ni le narrateur planté dans son « je me souviens » ; les tenseurs du récit sont d’abord les impressions, et même les sensations, ils sont objets, pour ça justement, pris dans nos pratiques, dans nos souvenirs, dans nos « premières fois », référence à la technique, ce serait ça un roman de la technique, la vie minuscule d’un esprit affecté à tous les sens du terme par les œuvres d’art du quotidien ou qui les imprime de ses projections. Mais aussi et surtout le récit de leur perte, quand on les quitte, qu’on nous les prend, qu’on n’a pas le temps de les saisir, l’objet volatile.

On se doute que certains germanopratins dédaigneront la chose, ne voyant pas l’auteur dans cette possession, n’entravant que pouic aux objets de l’utilité, préférant le design tape-à-l’œil, mais ils devraient y relire à nouveau car ça parle dans le récit, les « j’avais osé entrer pour l’acheter », « mon frère et moi avions eu le droit d’une demande », et c’est dit en toutes lettres « ce ne sont pas que les souvenirs matériels qu’on ait à pourchasser », ce sont ces « implacables mais fragiles figures de l’obscurité intérieure », qui « se tiennent à une vague distance ». « Qu’on tente de s’en saisir, déjà elles s’éloignent ». Ce sera un roman de la subtilité et de l’éphémère, paradoxal si on pense à cette sensation de permanence que donne souvent la matière.

C’est toute une société au garde-à-vous des Trente Glorieuses qu’on parcourt ainsi, le stéthoscope du médecin trop pressé, et en passant un constat que l’ablation des amygdales n’est plus systématique, les monceaux de verre inutile que par superstition on conservait à la cave ou au grenier (j’ai souvenir du débarassage de la maison de ma grand-mère où nous retirâmes des centaines de verrines toutes enterrées dans le sol, mais qu’est-ce qu’elles faisaient là), et puis ces ventouses, autres temps, autres mœurs, ou encore ces objets magiques, la petite roue de lumière et le kaléidoscope, comme le signe secret préfigurant une envie de changement, un mai 1968 qui se rêverait d’abord là, comme dit mon fils, « de ton temps, la vie était en noir et blanc », ne dirait pas ça s’il avait connu ces petites surprises de couleur, qui laissaient espérer autre chose. L’objet jamais fixé, point de fuite.

On fait son marché dans Autobiographie des objets, nos petites madeleines, et pourtant on sent déjà à travers les choses de l’enfance et de l’adolescence de l’auteur les lignes de force d’une vie : le bégaiement de la littérature, le voyage, Jules Verne, Fournier, Balzac, la lecture d’un Dostoïevski sur le siège d’une deux-chevaux, le goût pour les bibliothèques, cette « armoire aux vitres » du grand-père, le goût de la technique annonçant l’art informatique, il en faut pour monter ces milliers de lignes de code.

Mais cet hommage rendu au Sélection du Reader Digest, déjà fragmentaire, composé de compositions, le livre déjà comme « ensemble hétérogène et complexe » comme précurseur des aventures du site de François Bon, le tiers livre, -de sa fondation de la maison d’édition publie.net pour le livre électronique-, et plus récemment de sa promotion de l’édition en ligne, avec notamment nerval.fr, le magazine fictions & littérature en ligne, figurant un livre infini, il fallait l’oser.

Mes favoris, le litre à moules, je n’ai pas connu, mais j’ai associé à ces bidons de lait de ma grand-mère devenus tout aussi désuets, la perte d’une civilisation, l’univers du garage aussi, fabuleux terrain de jeu, je devrais dire deux garages, de Saint-Michel en l’Herm et de Civray si différents. Comptent aussi les machines à écrire -liste qui fait métaphore de La-, ça m’a rappelé le temps passé à attendre la mienne, le pied à coulisse (magnifique), la toise, j’ai noté ce passage : « Hier soir, quand le souvenir est revenu des marques bicolores, avec les dates en minuscule, dans le placard de la cuisine, et les onze ans dans cette première maison, c’est ce processus des signes et de l’enfance qui a émergé brutalement. Non pas l’enfance en elle-même, ni le crayon de charpentier qui y était obligatoirement associé, mais dont témoignait l’ensemble des marques, et leur progression vers le haut –il y a bien longtemps qu’on a cessé de grandir ». J’ai aimé aussi la lecture de Joseph Kessel, on est tombé sur le même Nuits de princes, lu en cachette pareil, identification ne saurait nuire. Et puis l’aérogare d’Orly-Sud, les images de La Jetée de Chris Marker passent dans ma tête, l’autoroute, la DS 19 –tiens, clin d’œil à La nouvelle Citroën de Barthes-.

Mon intérêt pour ce qu’il dit des femmes dont la plupart des objets étaient ceux qu’elles confectionnaient pour la communauté, la confiture de melon d’eau si peu perdurable, déjà consommable, seules leur restaient les boîtes, boîtes à ouvrage, boîtes à bijoux, ce dont un petit garçon ignore tout, mur épais ou trace en devenir.

Il s’incline, François Bon, un peu mélancolique sans doute, se remémorer les sensations d’une vie, l’objet support-surface de ses projections, tous ces ready-made qui composent le récit, ça fait voir le chemin passé, ça donne envie d’effacer les photos, photos de classe, qui montrent le vieillissement, pas de nostalgie pourtant ou si peu.

Si dans L’enterrement, il quittait un monde (« à la fin tu es las de ce monde ancien »), dans Autobiographie des objets, l’auteur le dit « le monde des objets s’est clos. Le livre qui va vers eux ne cherche pas à les faire revivre. Il est la marche vers ce qui en leur temps, permettait de les traverser. C’est la question de cette traversée qui est à nous aujourd’hui posée. »


photo christine simon
I know john lennon
abäke, yaïr barelli et baba
courtoisie ferme du buisson, 2011


autobiographie des objets
françois bon


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écrit ou proposé par Christine Simon
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne le 12 janvier 2014 et dernière modification le vendredi 19 décembre 2014
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