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11 septembre
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l’oiseau bleu

11 septembre
la petite est assise sur la pelouse

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11 septembre
j’ai eu vingt ans en 1975

trois images

11 septembre
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au bout du chemin, la barrière

11 septembre
ce jour de printemps, la barrière revêt

l’oiseau bleu

La petite est assise sur la pelouse du jardin. Ils sont partis pour la journée. Ils ont pris la voiture et l’ont quittée. Toute la journée sans eux. Ils l’ont laissée toute seule. Exprès. Elle est punie.

Elle préfère ne pas y penser. Cela lui arrive de décider de ne pas penser. Et elle ne pense pas. Elle regarde les iris. Les iris violets et jaunes. Elle observe les tiges droites, les têtes de poupées altières, son petit monde.

Elle lève la tête, elle vient d’entendre un bruit d’aile, un bruit d’oiseau, mais ne voit rien. Elle retourne à ses fleurs en poussant un soupir. Là, dans l’herbe elle reste immobile. Elle contemple son œuvre, ce jardin qu’elle a patiemment travaillé et ses ongles noirs, les traces noirâtres sur ses jambes, mélange de sueur et de terre.

Pas un souffle de vent. Même les nuages là-haut ne bougent pas. Les iris sont sages comme des images, la seule complication c’est leur forme, les pelures de couleur les unes sur les autres. La petite sent l’herbe fraîche sous ses fesses à l’endroit où sa peau est nue. Elle remue un peu, pour mieux sentir le frais.

Sa mère lui a donné ce rectangle de jardin le long du mur et lui a dit : tu peux y planter ce que tu veux. Et la petite a décidé de planter des iris, seulement des iris, beaucoup, plein, énormément d’iris. Elle n’aime ni les chrysanthèmes, ni les géraniums, ni les glaïeuls. Elle a hésité avec les gueules-de-loup, mais maman les a gardées pour le massif au centre de la pelouse. Il restait les iris et ses favoris sont de cette couleur. Et voilà ! Exactement ce qu’elle voulait. Parfois elle est vraiment contente, la petite.

Elle transpire un peu. Un moment plus tôt, la tête en bas, campée sur ses jambes nues et raides, elle a enlevé les petites peaux grises fanées qui collent aux pétales. Des peaux comme des voiles, si délicats. Comme du tissu, celui d’un dessous délicat, en voile, comme cela, tout doux. Un jour son frère lui a montré un dessous de maman et lui a dit, c’est sexy. La petite ne savait pas quoi dire. Les yeux de son frère brillaient. Elle était un peu gênée quand il lui a dit ça, surtout qu’il le touchait juste dans le creux, à l’endroit de la foufoune.

Elle entend à nouveau l’oiseau, le bruit d’ailes semble se rapprocher, elle regarde dans le grand sapin, mais ne remarque aucun mouvement. L’oiseau joue à cache-cache. La petite a chaud. Elle s’est assise, parce qu’elle a travaillé la terre et que c’est fatiguant la tête en bas. Elle n’aime pas la terre noire, enfin elle aime quand elle est noire, mais plus du tout quand elle devient grise, elle déteste la pâleur de la terre quand elle a passé, qu’on la dirait morte. Elle a retiré les pierres, les petites herbes, parce que c’est ce qu’on fait, maman lui a dit qu’un beau parterre doit être nettoyé. Et la petite pense que maman a raison. Pourtant quand la terre est toute grise autour de ses iris, elle se dit que la nature est mal faite ou que maman a peut-être tort.
Tout autour de la plate-bande, elle a dressé sur le côté de larges cailloux tout plats, couleur de lait, des sortes de galets qu’elle a trouvés au cimetière sur la tombe voisine de celle de grand-mère. En échange, elle y a déposé des iris. Elle en avait apporté pour la tombe de grand-maman, elle a séparé le bouquet en deux, un pour grand-mère, un pour la dame, comme cela on ne voit pas qu’il manque des cailloux. Elle a réparti les cailloux restants, ni vu ni connu j’t’embrouille, et puis la dame n’a pas à se plaindre, parce que maintenant y a des iris, avant y avait rien que des cailloux.

Depuis quelques minutes, la petite ne pense plus, elle se sent bouillante, son nez est brillant, elle sue, son chemisier blanc la gêne, il frotte sur son torse et sur son ventre. Maman lui met souvent des tissus qui râpent, qui grattent, qui coincent les bras. Elle se tourne. Elle est assise sur la pelouse, ses talons sous elle : un de ses talons nu est posé contre ses lèvres, celles du bas, écartant le slip. Depuis quelques secondes, sans qu’elle sache bien ce qu’elle fait, tout doucement, son talon frotte imperceptiblement ses lèvres à travers le coton chaud. D’un coup, il a écarté le tissu pour s’imposer là. Elle ne pense pas. C’est doux. Elle sue, les joues rouges. Elle voit sur le sol l’ombre d’un vol d’oiseau. Elle jette un regard vers le ciel, et, cette fois, elle aperçoit un oiseau bleu, d’un bleu gris brillant, juché sur la terrasse juste au-dessus d’elle. Il semble la narguer. Laisse-moi. Sa tête retombe. Le talon s’enfonce davantage et commence à remuer régulièrement. Son ventre se soulève et ses lèvres se détachent puis retombent sur le talon. Elle sent l’air remonter dans ses poumons et ses petits boutons de seins frottent sur le coton dur de sa blouse. La petite a fermé les yeux. Ses lèvres sont chaudes, mouillées. Ca sent le chaud et l’humide. C’est bon. Son talon continue encore, il insiste. Elle murmure, on ne sait quoi. Un petit chatouillis entre ses jambes. Elle pousse un son étouffé, qui reste enfermé tout au fond de sa gorge, un son un peu rauque, perdu, amorti, à peine audible dans le jardin.

Et sans prévenir, l’oiseau bleu se met à carillonner, des trilles montent et descendent, une harmonie toute en triple croche, trtvitt, trtvitt, trtvitt, une conversation, comme s’il s’adressait à elle. La petite relève la tête et éclate de rire. Elle n’est plus seule. Elle reconnaît le visiteur. Elle a lu quelque part qu’un oiseau bleu d’Australie collectionne les objets bleus, les bouchons, les pinces à linge, les petits morceaux de ficelle, tout ce qu’il peut récupérer en bleu. Puis il les sème un à un le long d’un chemin qui mène à la belle, à laquelle il fait la cour. Quand il construit le nid, il compose une teinture et d’un petit morceau de bois trempé dans l’eau teintée par les pigments de fleurs, il peint son nid couleur azur. La petite se met à alors à rêver qu’un oiseau bleu venu des mille et une nuits sème le sol d’iris et l’enveloppe d’un voile nuptial de soie blanche, brodée de fils bleus, pour s’envoler avec elle.

Allongée dans l’herbe, elle reprend tout à coup conscience du temps qui passe et elle frissonne. Le soleil a disparu de l’autre côté de la maison, qui à présent jette une ombre à ses iris. L’oiseau s’est tu. La pelouse devient fraîche, l’herbe colle un peu à ses cuisses. Elle se remet à attendre. Ils ne vont pas tarder à rentrer.


Archive anthropia # blog - janvier 2007

écrit ou proposé par Christine Simon
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne le 7 mai 2017 et dernière modification le dimanche 7 mai 2017
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