crédit photo Sandrine Mulas
Avant de vous voir, je me suis dit, si je la rencontrais, quelles questions lui poserais-je, et vous voilà, la Voisine, ça m’impressionne de vous rencontrer.
Faut pas, mon p’tit, je ne suis que La Voisine, ne t’en fais pas, allez va-s-y, pose tes questions.
Alors tentons de refaire votre trajet du jour. Vous venez d’où, vous étiez où juste avant d’arriver ici ?
Oh, moi, tu sais, je suis ici, je suis là, j’suis toujours un peu à côté de toi, d’ailleurs tiens, tu veux un thé, on va papoter, hein, et toi tu viens d’où, tu faisais quoi avant d’arriver ici ?
Ah, non, là c’est vous qui posez les questions, vous inversez les rôles. Pour le thé, je ne dis pas non, mais dites-moi, où étiez-vous ce matin par exemple ?
J’ai fait mon jardin, j’ai enfourché mon vélo pour aller au marché, puis suis vite rentrée pour notre rencontre. J’aime bien me préparer pour les rencontres.
Vous dites qu’il faut être prêt pour se rencontrer, mais ça dépend de quoi ?
Faut être disponible. La disponibilité, c’est ce qu’on fait à l’intérieur de soi, comme ces carrés de simples qu’on sème, un jardin mystérieux qu’on fait grandir, les fleurs sont des oreilles qui poussent sur leurs tiges, il faut les arroser pour savoir écouter.
Hum, j’ai du mal à vous suivre. Pour nous, vous êtes la Voisine, mais pour vous, qui sommes-nous ?
Je ne me pose pas cette question, mon p’tit, elle est comme tu dirais « théorique », je hume, je touche, je transforme, ce qu’il y a entre toi et moi m’importe davantage que ce voisinage dont tu parles, ça sépare, le vous, pourquoi tu ne me tutoierais pas, ça nous ferait une conversation de framboises, tu vois, des petits mots, pas de chichi, tu vois ?
Je ne sais pas si j’ose tutoyer, vous avez l’air si léger, comment faites-vous pour échapper au poids du temps ?
Le temps est un couloir sombre, et nous ne dansons que dans la lumière, c’est par l’imaginaire qu’on franchit les frontières, tout le monde peut les emprunter, jusqu’au dernier instant, l’horizon nous est ouvert, et même au-delà, les mots de la poésie trouvent toujours un chemin, au-delà.
Mais l’accès à cet imaginaire, où le trouvez-vous, comment vous déplacez-vous, quel est votre moyen de transport ?
Avec le temps, tu vois, je doute de moins en moins, pas que j’aie des certitudes, non, mais je ne m’en fais plus, j’emprunte les moyens de transport légers, les images, je conduis avec les yeux et les mains des poètes, c’est une respiration, le souffle de la vie, c’est ça qui donne de l’énergie à mon moteur. Et si tu veux mon p’tit secret, j’épluche une orange tous les soirs et alors comment te dire je me retrouve sur le tapis des mille et une nuits, ça mène directement aux rêves. Et puis je note beaucoup mes rêves, ils me parlent, ce sont les zestes de l’existence, la parfument, la relèvent, c’est ça qui me donne le goût d’oser.
Alors, si je me pose, là, maintenant, que je ferme un peu les yeux, que je vous écoute…
Je dis des poèmes à qui veut bien les entendre, si tu fermes les yeux, c’est pas moi que tu entends, ce sont les poètes, ceux qui te font rêver, quand tu rentreras chez toi ce soir, tu verras tout d’un autre œil, tiens t’as un gamin, alors ce soir regarde ses mains, comment il les bouge, ce qu’elles racontent, ses mains, ou le paysage à ta fenêtre, chaque matin tu peux observer les tous petits changements, ou fermer les yeux quand tu goûtes un plat, son parfum, ou une petite musique, tout ça qui te donnera des forces, c’est ça que font les poètes à la banalité des jours ils ouvrent le monde, enfin moi ce que j’dis, c’est ce que ça m’fait à moi.
Merci, La Voisine, pour cet échange.
De rien, mon p’tit, et passe le bonjour à ta famille.
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