Les villes invisibles
Italo Calvino
Folio/Gallimard
Les villes et les signes. 3.
------------L’homme qui voyage et ne connaît pas encore la ville qui l’attend sur sa route se demande comment seront le palais du roi, la caserne, le moulin, le théâtre, le bazar. Dans chaque ville de l’empire, chaque édifice est différent et a une place particulière : mais à peine l’étranger arrive-t-il dans la ville inconnue et jette-t-il un regard sur cette pomme de pin de pagodes, de mansardes et de granges, suivant les capricieux dessins des canaux, des jardins et des tas d’immondices, que tout aussitôt il y reconnaît les palais des princes, les temples des grands-prêtres, l’auberge, la prison, les bas-fonds. Ainsi — dit-on — se confirme l’hypothèse selon laquelle tout homme a dans sa tête une ville qui n’est faite que de différences, une ville sans forme, ni figures, et les villes particulières la remplissent.
------------Le voyageur tourne et revient sur ses pas possédé par le doute : il ne parvient pas à distinguer les différents endroits de la ville, ses propres catégories mentales en viennent à se mélanger. Il en déduit ceci : si l’existence en chacun de ses moments est tout entière elle-même, la ville de Zoé est le lieu de l’existence indivisible. Mais alors, pourquoi la ville ? Quelle ligne sépare le dedans du dehors, le grondement des roues du hurlement des loups ?
Les villes effilées. 1.
------------Cela dit, il n’y a pas à établir si Zénobie est à classer parmi les villes heureuses ou malheureuses. Ce n’est pas entre ces deux catégories qu’il y a du sens à partager les villes, mais entre celles-ci : celles qui continuent au travers des années et des changements à donner leur forme aux désirs, et celles où les désirs en viennent à effacer la ville, ou bien sont effacés par elle.
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