l’Amérique n’existe pas
Histoires enfantines
Peter Bichsel
Gallimard
extrait
------------Le roi n’avait plus de bouffon. « Viens avec moi », dit-il à Colombin. Et les laquais et les servantes du roi, les comtes et tous les autres, tout le monde crut alors que Colombin était le nouveau bouffon.
Mais Colombin n’était pas amusant du tout. Il était là, avec son air étonné, ne parlait presque pas, ne riait jamais mais souriait lentement, et ne faisait rire personne.
« Ce n’est pas un bouffon, c’est un benêt », disaient les gens, et Colombin disait : « Je ne suis pas un bouffon, je suis un benêt ».
Et les gens se moquaient de lui.
Si le roi l’avait su, il se serait mis en colère, mais Colombin ne lui disait rien, car cela lui était égal que l’on se moque de lui.
A la cour, il y avait des gens très forts et des gens très intelligents, le roi était le roi, les femmes étaient belles et les hommes courageux, le prêtre était pieux et la fille de cuisine était laborieuse -seul Colombin, lui, n’était rien du tout.
Quand quelqu’un lui disait : « Colombin, viens lutter avec moi », Colombin disait : « Je suis plus faible que toi ».
Quand quelqu’un disait : « Combien font deux fois sept ? » ; Colombin disait : « Je suis plus bête que toi ».
Quand quelqu’un disait : « Est-ce que tu oses sauter par-dessus ce ruisseau ? », Colombin disait : Non, je n’ose pas ».
Et quand le roi demandait : « Colombin, que veux-tu devenir ? », Colombin répondait : « Je ne veux rien devenir, je suis déjà quelque chose, je suis Colombin ! ».
Le roi dit : « Il faut pourtant que tu deviennes quelque chose », et Colombin demanda : « Que peut-on devenir ? » .
Alors le roi dit : « Cet homme barbu, là-bas, au visage brun et tanné comme du cuir, c’est un navigateur. Il voulait devenir navigateur, il est devenu navigateur, il traverse les mers et découvre des pays pour son roi ».
– Si tu le veux, mon Roi, dit Colombin, je deviendrai navigateur. »
A ces mots, la cour tout entière éclata de rire.
Alors Colombin se précipita hors de la salle en criant : « Je découvrirai un pays ! Je découvrirai un pays ! ».
[...]