Ils sont huit, armés de bombes, ils remontent la nationale, la police est occupée ailleurs, en ce jour de sirènes, ils n’ont rien trouvé de plus urgent que d’emprunter la nationale, parce qu’il n’y a qu’une nationale pour les entendre, une nationale où on trouve des pompes à essence des années soixante-dix, une grande poupée sur le toit, des vieux hangars des années soixante, des taudis des années cinquante, remonter le temps de l’histoire sociale, tous ensemble, de la remonter, cette nationale qui fait une ligne droite de trois kilomètres, de la Porte de Pantin à Bobigny, parce qu’à trois commence le nous collectif, Route nationale 3 dans le département relégué, pleins feux sur le 9.3., ils vont pouvoir faire exploser leur émotion, en ce jour de crépitement des kalachnikovs, ils vont faire retentir le souffle du gaz de leurs aérographes, ils vont graffer ces mots « France blessée, France entière », sur la nationale, avec leurs bombes de peinture.
Ils sont douze, ils ricanent, ils se poussent du coude, sous le préau d’un collège du 9.3., ils rigolent, la minute n’est pas pour leurs bruits de gorge, ils n’avaient qu’à pas faire ça, Madame, c’est abuser, en fait, ils se sont suicidés, parce qu’ils savaient bien qu’ils pouvaient pas faire ça, on leur avait dit que c’était le Djihad.
Ils sont cinq cent, ils arrivent sur le Vieux port, une demi-heure avant l’heure du rassemblement ils sont déjà là, avec le petit carré de papier sombre, les lettres blanches le traversant, le blanc plus fort que le noir. Les premiers arrivés et ça va continuer.
Ils sont quatre millions et plus encore à la maison, ils ne disent pas France, ils ne disent pas La faute aux autres, ensemble ils prononcent le mot, le plus important dans ce pays, le seul qui fait lever tout le monde.
Ils sont douze, revenus le quatrième jour, ils ne se poussent plus du coude, ils ne ricanent plus, ils sont vaguement gênés, on savait pas, Madame, que même s’il y a pas d’égalité dans ce pays, et que la fraternité, c’est qu’entre nous, le premier mot de la liste, oui celui-là, il est à tout le monde, et même à nous si on en veut, et que la foule qui a marché en France, c’est pour nous aussi qu’elle le prononce, ce mot-là.
Ils sont cinq cent soixante-dix-sept, ils vont presser sur un bouton, alors c’est à eux que nous disons, ne nous prenez pas le seul bien qui nous reste pour faire France.
texte né de phrases de jeunes entendues ces derniers jours sur les médias ou vu en direct sur la RN3
merci aux grapheurs
merci à #France Culture
merci à Le Nouvel Obs
"nation"
place de la république
photo de martin argyroglo
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renommé "le crayon guidant le peuple" par le peuple