une chambre à soi,
sa chambre à soi envahie,
est-ce ça qu’elle a ressenti avant de se lester de pierres,
une chambre à soi impossible, dévastée,
cette panique devant l’envahissement de chuchotements,
une chambre à soi dans la tête,
n’avait-elle plus l’espace intérieur, l’innocence ou la légèreté,
ne pas se laisser envahir par les voix
ou par le monde,
ce qui est pareil,
je veux dire qu’on ne résiste pas plus aux unes qu’à l’autre
qu’elle, ses voix,
nous, le monde,
la porosité au monde qui nous rend inaudibles,
qui nous rend le monde inaudible
et en retour indicible
cet instant où il empiète, submerge nos berges de sens,
qu’il n’y aurait pas de fuite possible,
ou alors un retrait, un lâcher-prise,
pas systématique, pas permanent,
mais savoir le quitter quand il devient trop fou, trop lourd, trop impossible
notre temps multiplie les zones de chambres à soi,
la présence sur les plateformes qui nous rendent fragiles,
malgré nos sites ou nos @dresses et http://chez moi, nos pages aux amis et photos d’instants livrées aux abonnés,
les zones de liberté surveillée dans le monde réel qui n’a rien de virtuel,
et dans le monde virtuel qui a tout du réel,
et puis nos chambres, silencieuses, vertueuses,
le retrait possible sur nos écrans intimes ou nos carnets manuscrits,
nous avons un tel champ de chambres à soi,
qu’il apparaît comme un programme d’igloos, proposés par le gouvernement des pensées comme un piège à intérieurs libres,
des igloos en zones froides, des cachettes trahies par les algorithmes marchands,
que nous pouvons parfois quitter,
en allant respirer au bord de la rivière
— nous heureux dont la tête peut encore penser —
sans lester nos poches pour entrer dans le flot