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du contemporain

Il l’emmène dans l’Aveyron profond. On dit que dans sa cure, dans sa maison-bibliothèque, il a grimoires et livres anciens pour agrémenter une conversation à deux dans sa jeep, l’espace d’un été.

Dans sa chemise kaki, dans ce pantalon en toile de couleur bise, l’énergie de la quarantaine, forgée sur l’enclume du dix-neuvième, manque l’histoire des Trentes.

Rencontré lors d’une partie de canasta, d’une lecture autour du labyrinthe de Borges, d’un oulipien jeu des voyelles à l’entrée du village, rencontré dans les poèmes de cette revue méditerranéenne qu’il soutient avec ces doctes islamisants, cette chantre des petits souvenirs de jadis, ce poète en langue d’oc.

Dans cette réalité teintée de sépia, une forte mélancolie, et ce rien d’occitan, elle n’est pas complètement, et le prie-Dieu dans le bureau, chiné dans une brocante en bordure de départementale, l’y voit vaguement inquiète.

De cette difficulté à adhérer à l’érotisme suranné, elle voit le signe que le contemporain toujours en elle lutte, s’y abandonner signifierait se laisser submerger par l’odeur de poudre de guerre qu’elle ne veut pas accoutumer.

Mais lui révère les guerres, n’importe quelle énième dans son panthéon fantastique, qu’il n’a pas faites, aucune. Il aime tirer au fusil, dans le passage derrière sa maison isolée du village-haut.

Pourtant, et c’est déjà récit, elle se laisse faire, curieuse d’y voir plus en-dessous, de comprendre comment les citations d’auteur, le cadre d’un penché, quand il dit, regarde, sous la poutre ou au loin, peuvent créer une vérité de pleine lumière, un instant actuel, un moment.

Le premier souvenir. Ils sont à Combret, un sous-Rocamadour, la ville juchée, le rougier, les maisons à grosses pierres. S’est garé sur cette étrange place, quand on se penche sur le vide depuis le parapet, on ne voit que forêt, son vert sombre, un dunkel qui la bascule à la fenêtre chez K., dans la petite maison près du château, la fenêtre perchée au-dessus d’un bois en douve, mais rien d’autre, cette sensation fugace, et sur le parvis, une vierge blanche et une petite auberge, vue ce jour-là abandonnée, plus tard la reverra à peine rénovée, et tout récemment transformée en business à touristes nostalgiques, château avec tourelle.

Ils ont emprunté ruelles à pavés qui descendent et qui remontent, les villages juchés ne sont pas tranquilles à la promenade.

Plongé dans ce Moyen-âge, il est à son affaire devant la sculpture de Saint-Michel, -qui l’aurait remarquée près du lavoir, s’il n’avait poussé sa tête dans l’angle sous le toit, la grimace d’une gargouille, puis le dragon tué du tranchant de l’épée-. Remontés vers l’autre plateau, dans le perché, creux, bosse, creux, bosse, et arrivés sur un palier, vue de la plaque de Delfine Darifat de 1619, jamais oubliée depuis. « Panse à la mort espovantable, d’enfer l’orrible jugemant, au paradis qui est perdurable, tu prieras incessemant », ce souvenir de la phrase dans son jus orthographique, la datant en la rendant si proche, une femme a fait graver ça sur son mur, au-dessus de son porche, pour ne jamais perdre son étoile de vue, la polaire.

Retournée plus tard, elle a pris les photos en souvenir du passé de cette première visite du bourg. Mais l’authentifié a envahi les venelles, et ce n’est plus une découverte, juste un « must » des bons guides.

Le deuxième souvenir. En revenant, ils sont passés par Saint-Amans, église désaffectée. Vingt ans plus tard, elle est restaurée. Perdu le souvenir de cette église-là, du petit pré en jachère. Quand elle y retourne, seule, elle est refaite.

Le troisième souvenir. Coupiac et le rire, de cette explication d’église, un carton, qui rend compte d’une relique et sous couvert d’historicité, dit à la fois « la relique est vraie », « et si elle ne l’est pas, elle en a les accents ». Tant sourire, tant relue, pour sourire.

Le quatrième souvenir. Là ils partent très loin. Foundamente est sur l’itinéraire. Le village des protestants, de ceux qui lisent la bible en douce, dans les recoins de campagne. Arrivée au petit cimetière bordé de quatre ifs aux quatre coins. La marche à l’intérieur et tout à coup, la tombe de la fille de Lord Byron. Il raconte l’histoire. La déshéritée a quitté son père incestueux, a épousé un grognard de Napoléon, a tenu auberge aux alentours de Paris, à Saint-Germain-en-Laye, puis à la mort de son soldat, a rejoint un couvent, est venue mourir là en plein champ. Et de cette visite du lieu, que souvenir des tombes d’enfants, la petite taille des dizaines de monuments funéraires, une grande épidémie.

Dans quelle histoire l’entraîne-t-il, de ces hontes, de ces drames, de ces prières en expiation. Une sorte de chemin de croix, lui montre l’avers de cette terre obscure.

N’a pas donné beaucoup de vie cette excursion dans les siècles passés, on pouvait s’y attendre. Qu’a de contemporain cette affaire, côté terre brûlée et puis rien. Quoi d’autre à raconter pour faire littérature.


écrit ou proposé par Christine Simon
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne le 23 avril 2014 et dernière modification le lundi 4 mai 2015
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