Tu te fatigues, petite maman, tu ne sais plus bien, et cet élégant escrimeur qui passe chaque jour t’apporter ton repas, dans ton vocabulaire tu choisis le mot « obligeant », ça fait quatre ans qu’il vient chaque jour, qu’il pose sur la table les barquettes en plastique, qu’il ouvre ton frigo, trie et jette, qu’il te fait des compliments et des blagues qui te font rire, et pour toi, c’est un rendez-vous, il est si beau ton fleurettiste, alors chaque jour, vers midi, tu te regardes dans le miroir, encore coquette, tu repousses tes fragiles épaules en arrière, et te revient ce vieux réflexe, t’humidifier les lèvres pour qu’elles brillent, tu n’as plus vraiment la force de poser des taches de couleur sur ton portrait, mais quand ça sonne, tu te précipites, le soleil brille dans l’embrasure de la porte, comme ça qu’à fleuret moucheté, il s’est approché, le mousquetaire, il t’a présenté son stylo et ton chéquier, et puis la facture de trois-cent-soixante-dix-euros, tu n’as même pas vérifié, si gentil, il avait déjà noté la somme en chiffres et en lettres, et tu n’avais plus qu’à signer de ta main tremblante. Il est reparti, et dans un coin sombre sous un pilier de la maison, en bas de l’escalier, a ajouté sur le papier des mentions en chiffre et en lettres, et plusieurs fois il l’a fait, tu ne te doutais de rien, petite maman, tu avais oublié que tu payais déjà chaque mois en virement, et si je n’avais pas vérifié tes comptes, personne n’aurait vu que le séduisant spadassin commettait depuis plusieurs mois son larcin.